Pour la troisième fois consécutive, l'exposition des artistes sélectionnés pour la Bourse d'Art Monumental se tient à Ivry. Tenter un rapide bilan, évidemment provisoire, est de éirconstance. L'intérêt des artistes pour cette expérience qui a peu d'équivalents, ne se dément pas. Si nous assistons à une légère diminution du nombre des dossiers présentés, il est évident, d'une part que l'intention de la Bourse est mieux comprise, ce qui limite les candidatures et d'autre part que la qualité d'ensemble s'est progressivement élevée, exigeance implicite à l'égard des éventuels candidats. La diversité des oeuvres qui ont été retenues durant ces trois années, n'a par contre, pu autoriser personne à se sentir exclu d'avance.

En effet, que ce soit la figuration graphique de M.C. Bugeaud ou de Meister, la couleur maniée par Bellegarde et Hernandez, la géométrie de Coignet la narration épique de Taillandier ou la mise en oeuvre de la terre-cuite' par Pontoreau, celle de la pierre et de la brique par Pagès, un bon nombre des tendances et des techniques actuelles parmi les plus opposées, ont été représentées. Quant à la diversité d'âge aussi bien que de notoriété, elle a été totale. Plusieurs artistes alors inconnus ont été sélectionnés, la commission n'ayant cependant en aucun cas cherché à équilibrer son choix de ce point de vue.

Le principe du renouvellement de la commission de sélection par t iers chaque année, avec participation du lauréat de la fois précédente, nous a semblé la meilleure garantie de cette diversité. Pourtant, on peut discerner une orientation particulière à la Bourse d' Ivry. Avec, comme thématique principale, le monumental une première indicatian est donnée. Les membres de la commission de leur côté ne sont pas indifférents aux idées qui agitent le monde artistique, mais au contraire, ils en sont incontestablement porteurs.

Les artistes subissent en effet, en plus de problèmes matériels souvent graves, une pression ambiante dans leur activité de création même. Cette pression qui n'est pas seulement celle de l'idéologie dominante, mais aussi celle de la surrenchère dans les moyens d'utiliser sa propre re- . cherche et celle des autres, s'exerce de façon d'autant plus violente que la spéculation s'en mêle. Le marché de l'Art incapable de faire face tout seul à la crise, a largement recouru à l'Etat. Celui-ci, pour l'aider, cherche à lui fournir le moyen de lancer ses "produits" (les oeuvres des artistes !) comme des marques de lessive, au lieu d'assurer le rôle culturel qui lui revient.

Concentrant entre leurs mains tout le pouvoir, les équipes responsables des grandes institutions culturelles d'Etat, ont pris exemple sur le modèle américain. Ce dernier correspond à la réa lité d'un, pays autrement constitué, a suscité et suscite encore des créations importantes. Mais en France où il vient renforcer la centralisation existante, il tend à appauvrir et même probablement à stériliser la création. Après avoir dessaisi les critiques d'art de leurs responsabilités, liquidé les petits marchands, rendu inopérantes les organisations d'artistes et éliminés les salons où les oeuvres pouvaient être montrées, n'importe quel "produit" sera bientôt lancé sans risque de concurrence. ·

C'est à cette situation que nous avons voulu faire face, avec la modestie de nos moyens, en créant une initiative locale indépendante qui tienne compte de la conjoncture artistique et la fasse connaître au grand public. autres disciplines artistiques, se veut cohérent et à long terme. Cette bourse donne, par son retour à intervalle régulier, la possibilité d'examiner la diversité de la création contemporaine en train de se faire et celle, future, de la voir installer dans l'espace urbain ivryen. Les autres expositions et l'éveil donné à travers les ateliers municipaux en direction des enfants et des adultes, complètent cette action. Nous ne doutons pas de contribuer à tisser ainsi un lien entre artistes et public toujours plus fructueux. Pour notre troisième exposition, audelà des marelles, des passages, des têtes-monuments ou des tas de charbon, c'est au paysage qu'on a affaire.

Thierry Sigg
Conseiller artistique de la ville d'Ivry-sur-Seine à partir de 1978, et directeur de la galerie municipale Fernand Léger à Ivry à partir de 1983, et jusqu'en 2005.